Une femme au pouvoir en Nouvelle- Zélande, petite rétrospective

Nous avions salué en octobre 2017 la performance de Jacinda Ardern, jeune femme, cheffe du parti Travailliste vainqueur des élections législatives, et promue Première Ministre. A quelques mois des prochaines élections législatives et du terme de son mandat, nous revenons sur ce qui, pour nous, a fait la différence avec les codes masculins habituels dans l’exercice du pouvoir, que ce soit à propos de choses de la vie ou d’engagements politiques. Sans adulation et sans ignorer la part de représentation d’une excellente communicante, sachant qu’« il n’y a pas loin du Capitole à la Roche Tarpéienne », nous sommes simplement heureuses de voir une femme développer son pouvoir-faire pour protéger le bien-commun, et pragmatique, y réussir sans renier ses désirs et ses valeurs.

Elle a commencé par donner naissance à une petite fille, prendre avec naturel un congé de maternité de six semaines, confiant pendant ce temps sa charge au Vice-Premier Ministre, et réorganiser ensuite avec son mari leur vie de couple pour remplir sa fonction.

L’attentat terroriste de Christchurch en mars 2019

Dans une société habituellement paisible où les communautés vivent en bonne intelligence, l’attaque de deux mosquées par un jeune Australien, suprémaciste blanc et adepte de « la théorie du grand remplacement » a fait l’effet d’un choc profond. Le tueur a tué une cinquantaine de fidèles musulmans et en a blessé autant, diffusant l’attaque en direct par une vidéo sur Facebook.

Jacinda Ardern répond alors à cet immense traumatisme par l’empathie et la fermeté d’action. Elle trouve les gestes et les mots pour exprimer la compassion et le soutien dont les familles des victimes ont besoin. Dans le même temps elle engage le gouvernement à durcir la législation sur la possession d’armes, plutôt laxiste dans le pays, et à interdire les armes d’assaut semi-automatiques, utilisées dans la tuerie de Christchurch. Pour réduire la vive opposition à ces mesures, et avant toute sanction, un programme sur six mois de rachat d’armes à feu, permet aux propriétaires qui rapportent leurs armes, d’être défrayés sans qu’il leur soit posée aucune question ; dans le même temps est institué un registre des armes qui permet de mieux tracer la circulation des armes à feu.

Deux mois après, en visite en France, elle lance symboliquement au côté d’Emmanuel Macron l’Appel de Christchurch, demandant aux gouvernements et aux entreprises du numérique de s’engager dans un plan d’action pour éliminer les contenus terroristes et extrémistes en ligne.

Le « budget bien-être »

Fin mai 2019, la coalition travailliste présente son budget comme une première mondiale pour sa façon de mesurer le progrès économique et d’accorder la priorité aux citoyens devant les indicateurs économiques habituels. Il prévoit une augmentation des dépenses publiques en matière de santé mentale, d’allocations pour les indigènes, pour la lutte contre la pauvreté des enfants et contre les violences familiales et sexuelles. L’idée n’est pas franchement nouvelle, mais c’est une première mise en acte. En effet, depuis deux décennies, on a pu entendre des économistes et des sociologues dénoncer l’incapacité de cet indicateur de richesse qu’est le PIB, à tenir compte des inégalités, de la santé sociale et de la dégradation de l’environnement. En 2009, en France, la commission présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz sur la mesure des performances économiques et du progrès social avait préconisé des indicateurs complémentaires pour mesurer le progrès social et le bien-être des individus, l’OCDE lançant dans la foulée en 2012, un indicateur de bien-être. Quant à Jacinda Ardern, elle assure :« Nous avons dit que nous voulions être un gouvernement qui fait les choses différemment, et avec ce budget, c’est précisément ce que nous avons fait. Nous avons créé les bases non seulement d’un budget bien-être”, mais aussi d’une approche différente de la prise de décision gouvernementale dans son ensemble ».

Alors que la crise sanitaire actuelle vient renforcer les arguments des économistes qui veulent se libérer du PIB pour mesurer ce qui compte vraiment, la nouvelle Zélande innove encore dans son plan post-pandémie pour relancer l’économie du pays, préserver et développer l’emploi. En plus d’un budget qui réserve une part importante de financement aux services publics essentiels, la première ministre (dans un récent Facebook live) s’est dite favorable à une diminution du temps de travail : passer à une semaine de quatre jours pour faire marcher le tourisme, l’un des piliers de l’économie du pays, diminuer la pollution générée par les déplacements aux heures de pointe et favoriser la bonne santé mentale de chaque employé… Il faut dire que cette proposition vient en écho à une expérimentation menée en 2018, évaluée positivement « travailler quatre jours par semaine et être payé cinq » visant à améliorer la flexibilité du personnel, en travaillant de manière plus efficace et plus concentrée, tout en préservant de bonnes conditions de travail grâce à une réorganisation pensée par les salariés. Cette expérience donne à penser, malgré sa spécificité : il s’agit de l’entreprise Perpetual Guardian spécialisée dans la gestion de biens qui emploie plus de 200 employés et a 16 agences dans le pays, dont plus des trois-quarts des salariés se sont déclarés satisfaits et avec une baisse de leur niveau de stress…

« Mettre fin aux mensonges sur l’avortement en Nouvelle Zélande »

En dépit d’apparences progressistes la société et la sphère politique néo-zélandaise demeurent très conservatrices, travaillées par des courants religieux puissants. En août 2019, quand la Première Ministre annonce que, conformément à ses promesses de programme, son gouvernement va présenter une loi au parlement pour dépénaliser l’avortement, elle est la première dans cette fonction à affirmer solennellement, qu’elle soutient le droit des femmes à ce sujet. A cette date la pratique de l’avortement n’est légale qu’en cas d’inceste, d’anomalie mentale, d’anomalie fœtale ou de risque pour la santé physique et mentale de la femme enceinte, argument invoqué dans la plupart des cas, qui amène les femmes à mentir pour avoir accès à cet acte médical. L’IVG est alors considérée comme un délit passible de 14 ans d’emprisonnement.

Le Parlement votera la dépénalisation de l’avortement le 18 mars 2020 (par 68 voix contre 51)

Une gestion de la crise du COVID -19 clairvoyante et déterminée

Très populaire internationalement Jacinda Ardern est à la peine début mars face au Parti national (centre droit), après l’abandon des réformes promises pour résoudre les problèmes du logement et de la pauvreté, mais la gestion magistrale de la crise sanitaire la replace en tête pour les prochaines législatives, à l’automne (21 décès dans le pays).

Ayant conscience de la gravité de la situation et anticipant une explosion, le pays ferme ses frontières le 19 mars alors qu’il est encore peu touché en comparaison d’autres pays, le confinement est déclaré quelques jours plus tard avant même le premier décès. La population est testée en nombre, et une application de traçage quoique controversée est massivement utilisée. Certes, dans ce pays d’îles , géographiquement isolé, avec une population de 5 millions d’habitants et une densité de 18 habitants au km2 la tâche est plus facile que dans la région des Hauts de France, par exemple avec ses 6 millions d’habitants et une densité de 189 habitants au km! mais ce qui a entraîné l’adhésion de la population c’est le  mode de communication quotidien de Jacinda Ardern : direct, simple et moderne (via Facebook), beaucoup plus spontané que les allocutions protocolaires auxquelles se  sont livrés la majorité des chefs d’État à cette occasion. Elle dialogue avec des gens réels, sans hiérarchie, sans la violence d’un discours de maîtrise, en les incluant dans une humanité dont elle fait elle-même partie. D’où tient-elle cette capacité d’accueil de l’autre si précieuse pour engendrer la confiance ?

« Je crois vivement qu’on peut être compatissant mais fort, dans l’empathie et résolu » a-t-elle dit dans un entretien avec un journaliste lors de son passage à Paris.

Le 5 juin 2020